Cameroun : Paul Biya, 90 ans, 41 ans de pouvoir et toujours pas de retraite en vue
Près de 75 % des Camerounais n’ont connu d’autre dirigeant que l’actuel chef de l’Etat, qui pourrait briguer en 2025 un huitième mandat.
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Dans les meetings, son visage bonhomme s’affiche sur chaque robe, chaque chemise, chaque coiffe. C’est le même depuis plus de quatre décennies, à quelques rides près. Lundi 6 novembre, Paul Biya, le président du Cameroun, fêtait ses 41 ans au sommet de l’Etat. Parvenu au pouvoir après la démission d’Ahmadou Ahidjo, le premier dirigeant camerounais après l’indépendance, l’ancien séminariste a entamé en 2018 son septième mandat. Une longévité célébrée dans tout le pays à grand renfort de discours.
A Meyomessala, fief du président situé à 170 kilomètres de Yaoundé dans la région Sud, la démonstration d’affection a tenu, comme chaque année, de la grand-messe. Tout ce que la province compte de notables s’est pressé sur les gradins de la place de l’Indépendance autour du puissant ministre des finances Louis-Paul Motaze.
Lié familialement au chef de l’Etat – il est le neveu de sa première épouse, Jeanne-Irène –, il figure parmi ses dauphins supposés. De l’autre côté de la route, les militants locaux du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), écoutaient d’une oreille distraite la litanie d’éloge. Mus par la force de l’habitude, ils ont communié autour de la flamme, symbole du parti au pouvoir, et loué « le tact, la clairvoyance, la dextérité » du « grand leader ».
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La pièce a été jouée et rejouée tant de fois qu’il fallait prêter une oreille attentive pour remarquer que la « motion de soutien, d’encouragement et déférence » lue à la tribune ne s’accompagnait pas, cette année, d’un appel explicite à la réélection du président. Le prochain scrutin est prévu en 2025. « C’est encore un peu tôt pour se prononcer, confie Joseph Mboutou Ze, président de la sous-section du RDPC de Ngoase-Meyomessala. Il aura 92 ans. Certains supputent que son fils Franck Biya pourrait être candidat, on parle aussi d’un congrès du parti [le dernier s’est tenu en 2011]. On attend de voir. »
Le « candidat naturel » du parti
Tous n’ont pas cette patience. Le 1er novembre, le secrétaire général du RDPC, Jean Nkuete, a ouvertement plaidé, lors d’une tournée dans la région Ouest, pour que le chef de l’Etat brigue un huitième mandat. Il avait été précédé en mai par le ministre de la santé publique Manaouda Malachie, qui s’était exprimé depuis Mokolo, dans l’Extrême-Nord, une région frontalière du Tchad et du Nigeria où l’Etat est en guerre contre le groupe djihadiste Boko Haram, en faveur d’une candidature gage de « stabilité » et « sécurité ».
Peu importe que près de 75 % des Camerounais n’aient connu d’autre dirigeant que Paul Biya. « La question ne se pose pas, elle ne doit pas se poser : il est candidat. Le Cameroun est un pays où les gens vivent jusqu’à 100 ans et sont très lucides », assure Paul Atanga Nji, le ministre de l’administration territoriale.
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Selon les règles du parti, le président du RDPC est en effet le « candidat naturel » de la formation. Mais, comme toujours, le principal intéressé ne se prononce pas. Alors qu’il avait fait, en 2022, le déplacement jusqu’à Mvomeka’a, son village natal qui jouxte Meyomessala, pour suivre les festivités, Paul Biya est resté cette année à Yaoundé, la capitale. C’est là qu’il a rencontré, le 4 novembre, la ministre française des affaires étrangères, Catherine Colonna, et la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), la Rwandaise Louise Mushikiwabo, venues assister à une conférence de l’OIF.
Mais, s’il reçoit au palais, Paul Biya se montre peu. Sa dernière apparition publique remonte au 20 mai, à l’occasion de la fête de l’indépendance. Au village ou dans son palais d’Etoudi, installé sur le flanc d’une des sept collines qui vallonnent la capitale camerounaise, le « Sphinx » règne plus qu’il ne gouverne. A Yaoundé, les affaires courantes sont expédiées par Ferdinand Ngoh Ngoh, le très influent secrétaire général de la présidence qui détient une délégation permanente de signature du chef de l’Etat, et le premier ministre Joseph Dion Ngute. Des réunions du gouvernement se tiennent régulièrement à la primature. Paul Biya n’a pas présidé de conseil des ministres depuis 2019.
Au palais, plusieurs clans
Cette absence, doublée d’une imprévisibilité érigée en système, est la principale marque de fabrique du président camerounais. Et le gage d’un pouvoir qui n’hésite pas à fondre sur les ambitieux qui ont eu le malheur de lorgner trop ouvertement sur le trône. La prison centrale de Kondengui à Yaoundé est pleine d’anciens barons du régime – ministres, secrétaires généraux, directeurs d’entreprises publiques – terrassés par l’opération anticorruption « Epervier » mise sur pied en 2006 pour apurer le champ politique.
Trop faible et éclatée, l’opposition ne représente pas une menace sérieuse. Un coup d’Etat militaire non plus, à en croire Paul Atanga Nji. « Ici, ça ne peut jamais se passer. Jamais, jamais, jamais, martèle le ministre. Le système mis en place par Paul Biya empêche cela. » Le renversement du Gabonais Ali Bongo Ondimba en août par son cousin, le chef de la garde républicaine, 55 ans après l’arrivée au pouvoir de son père Omar Bongo Ondimba, a néanmoins rappelé que la menace existait partout.
D’autant que Paul Biya n’est pas immortel. Et la question de sa succession, si elle n’est pas ouvertement évoquée par ceux qui pourraient y prétendre, est dans toutes les têtes. Au palais, plusieurs clans se font déjà face. D’un côté, les proches de la première dame, Chantal Biya, parmi lesquels le secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, et le directeur adjoint du cabinet civil du chef de l’Etat, Oswald Baboke.
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De l’autre, le ministre des finances, Louis-Paul Motaze, ou Samuel Mvondo Ayolo, le directeur du cabinet civil. Des puissants qui pourraient envisager, si la situation tournait à son avantage, de se rallier à la figure de Franck Biya. Le fils aîné du chef de l’Etat, qui n’occupe aucune fonction officielle au sein du palais et s’est toujours tenu loin de la politique, est de plus en plus présent dans les coulisses de la présidence.
Passé maître dans l’art de diviser pour mieux régner, Paul Biya s’est toujours gardé d’adouber l’un ou l’autre. Mais « une telle bête politique a nécessairement une stratégie pour sa succession », veut croire l’économiste Dieudonné Essomba. Pour cet ancien haut fonctionnaire à la retraite devenu consultant, l’hypothèse de l’héritage dynastique n’est pas à exclure. « La promotion de Franck Biya est forte, mais suffisamment discrète pour ne pas apparaître comme une compétition. Cette manière de jouer caché, de voiler ses intentions, c’est du Biya pur », observe-t-il.
Elise Barthet(Meyomessala, Cameroun, envoyée spéciale)
Lemonde